LAURÉATS DE LA COMPÉTITION INTERNATIONALE
DE DOCUMENTAIRE DU FESTIVAL DES LIBERTÉS 2015


Prix du Festival des Libertés:

Democrats, de Camilla Nielsson.

Parmi les toujours trop nombreuses dictatures qui pullulent encore sur notre planète, le Zimbabwe fait figure de caricature ultime. Dirigé par un autocrate octogénaire, sa cour et ses services secrets, le Zimbabwe tente quand même de donner, de temps en temps, quelques gages à une communauté internationale inquiète. Dans ce cadre, pendant plusieurs mois, la réalisatrice de « Democrats » a suivi une tentative d’élaboration participative de rédaction d’un nouvelle Constitution pour le Zimbabwe. Chargés de cette vaste entreprise, deux représentants du pouvoir en place comme de l’opposition passent ainsi de la méfiance au respect mutuel, de la peur à l’espoir et, finalement, de la confrontation à la « co-construction ». Magistrale fresque d’un embryon de démocratie (même si Mugabé est toujours au pouvoir aujourd’hui), « Democrats » nous montre avec finesse et au plus près de l’action comment des hommes et des femmes tentent de combattre pacifiquement une dictature et de poser les jalons d’un avenir plus respectueux des droits fondamentaux de tous les zimbabwéens.


Mentions spéciales du jury:

Llevate mis amores, de Arturo Gonzalez Villasenor.

L'abri, de Fernand Melgar.

Les migrations existaient hier, existent aujourd’hui et existeront toujours demain. Face à ce phénomène humain, plutôt que de jeter des ponts, les états nantis se réfugient derrière des murs construits à la hâte. En agissant de la sorte, ils poussent les migrants vers des périples de plus en plus dangereux qui, pour quelques rescapés parmi eux, les amèneront de surcroît dans des pays dont la seule préoccupation affichée est avant tout de leur délivrer un billet de retour. Face à tous les discours populistes qui accompagnent  ce qui est présenté communément comme une crise de l’accueil des migrants en Europe, le jury  du festival a tenu à distinguer ces deux films qui témoignent précisément de ces deux facettes de la réalité des migrations.


Prix FIDH - International Federation for Human Rights:

Democrats, de Camilla Nielsson

La FIDH décerne son prix au film « Democrats » de Camilla Nielsson. Le film traite du Zimbabwe, où Robert Mugabe détient le pouvoir depuis l'indépendance en 1980, et débute sur les suites des évènements de 2008 lorsque le Zanu PF, parti de Mugabe, fini par perdre le contrôle du parlement. Des centaines de civils sont victimes d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, d’actes de torture, de viols, d’arrestations et détentions arbitraires, de déplacements forcés, de menaces et autres formes d’intimidations. Morgan Tsvangirai, leader de l'opposition MDC, se retire des présidentielles pour apaiser la situation et Mugabe, seul en lice, est "réélu". Avec l'intercession de la Communauté internationale, un accord politique est conclu, qui permet le partage du pouvoir et la mise en place d'un gouvernement d'unité nationale, qui entreprendra de réformer la constitution.

Avec "Democrats", nous vivons de l'intérieur le processus de réforme de la constitution, son processus de consultation populaire et de négociation. Sous un angle original, nous sommes le témoin au jour le jour du destin de deux hommes, Douglas Mwonzora (MDC) et Paul Mangwana (Zanu PF) chargés des négociations. Nous sont révélés subtilement les motivations et les menaces et défis pesant sur les protagonistes, et in fine les dessous d'une dictature, la résistance du pouvoir à la perte du contrôle politique absolu, les intimidations qui y sont liées et les concessions qui peuvent s'opérer. Si les négociations ont abouti, la transition démocratique est loin d'être assurée: Mugabe demeure au pouvoir et la constitution n'est pas encore entrée en vigueur. Nous ne pouvons que saluer la qualité du documentaire de Camilla Nielsson et l'importance de son propos, la patience et le courage de ceux qui luttent pacifiquement pour la démocratie là-bas et ailleurs.

 

Prix RTBF Documentaires:

The Internet Own Boy: the story of Aaron Swartz,
de Brian Knappenberger.

Le documentaire se trouve au cœur du débat, très actuel, sur l’économie du partage et la protection du droit d’auteur. Peut-on tout mettre en ligne gratuitement au profit du plus grand nombre ? Oui, pour Aaron Swartz, cyber militant de génie, qui payera de sa vie, à l’âge de 26 ans, son combat pour la défense des libertés publiques. Poursuivi par les autorités judiciaires américaines, traqué par le FBI, il choisira le suicide plutôt que d’affronter son procès. Sacrifié pour l’exemple, devenu depuis une icône du Net, l’histoire tragique de ce visionnaire mérite d’être mieux connue du grand public. Ce documentaire lui rend hommage de manière sensible et émouvante. Il nous offre également une description passionnante du parcours et des motivations de cet « enfant d’Internet »,  esprit libre, rebelle, réfractaire à toute idée de profit ou de célébrité.

Marc Bouvier
Responsable de l’Unité Documentaires de la RTBF


Prix SMartBe:

The Look of Silence, de Joshua Oppenheimer.

L’homme fabrique l’histoire et transmet des vérités, quelles vérités ?. 

Ce film, juste et pudique, a profondément marqué le jury  par l’universalité des thèmes qu’il aborde: le pouvoir et la justice, le traumatisme, le courage, la réconciliation et la transmission. Dans une sorte de douceur violente, The look of silence nous ouvre les yeux sur une réalité inimaginable, innommable, encore couverte et même encensée aujourd’hui par le pouvoir en place. Brillamment construite, la dramaturgie sert ici le sujet comme rarement : elle permet de dépasser la problématique en question en s’attachant à la quête de résilience du personnage principal. En filmant à la première personne, et appuyé par des intervenants d’une force éblouissante, le réalisateur réussit la prouesse de sublimer le réel dans une œuvre qui fait la part belle aux silences et à la symbolique. Il laisse le temps à ses plans d’exister, permettant ainsi à chacun de prendre la pleine mesure des enjeux et de l’importance, capitale et universelle, de comprendre pour avancer et peut-être guérir. Il remplit ainsi de la plus belle manière ce devoir de transmission bafoué par le gouvernement indonésien. A côté de ce message bouleversant, joie, espoir et humour cohabitent grâce à une juste distance établie par le réalisateur et l’équipe du film, dans une approche humaine qui allie fermeté et douceur.

Un chef d’œuvre du genre, incontestablement.


Prix Salvador Allende:

Burden of peace, de Joey Boink & Sander Wirken.

Le film « Burden of Peace » nous dévoile un aspect méconnu de la longue marche contre l’impunité et la corruption, qui a été initiée au Guatemala. Une marche parsemée des personnages exceptionnels en quête de justice.  Comme la première femme Procureur général du Guatemala, Claudia Paz y Paz (nominée pour le Prix Nobel de la Paix en 2014) qui après avoir pris ses fonctions, a obtenu des résultats spectaculaires et procédé à de nombreuses arrestations, y compris au plus haut niveau de l’Etat. Mais sa détermination rencontre énormément de mauvaise volonté de la part d’une élite très puissante qui, jusqu’alors, s’estimait au-dessus des lois. Cela donne ce récit épique où se mêlent goût du sacrifice, résistance et espérance de changement. Car Claudia Paz y Paz représente  plus qu’une lueur d’espoir, elle incarne l’espérance de tout un peuple pour instaurer une démocratie véritable.